Abstention massive aux élections en France

Le 21/06/2021 0

Dans Crise démocratique

Les Français se sont largement abstenus d'aller voter ce dimanche : de quoi ce comportement est-il symptomatique ?

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Ce dimanche 20 juin, seulement un tiers des citoyens français ont honoré le rendez-vous que leur donnait l'Etat en se rendant aux urnes. Une enquête d'Ifop-Fiducial menée pour TF1 & LCI révèle les deux motivations dominantes des abstentionnistes : ils croient que voter ne changera rien, soit à leur situation personnelle, soit à la situation dans leur région. Comment en arrive-t-on à cela ? A minimiser l'impact de son opinion politique sur le fonctionnement démocratique ? A décréter que sa voix est vaine, et qu'il vaut mieux la taire, qu'elle ne sera pas entendue parce qu'elle ne trouve pas d'écho dans un parti capable d'en être le porte-parole dans le débat politique ?

Que s'est-il donc passé ? Evoquer le déconfinement ne suffit pas à expliquer l'abstention massive aux élections de ce week-end. Certes, il faisait trop beau pour quitter la terrasse du café, certes l'actualité était plutôt à la fin du couvre-feu ainsi que du port du masque à l'extérieur, certes un vent de liberté emportait du coup nos concitoyens vers les plages, certes on avait envie depuis des mois de se faire plaisir plutôt que de remplir un devoir, parce que la frustration était grande et le besoin de respirer depuis la crise sanitaire, devenu impérieux, mais ailleurs avant nous, Allemands ou Italiens se sont déplacés pour voter quant à eux : ceci n'empêchait donc pas cela. Alors ?

La prise de position de nos abstentionnistes suppose surtout un processus psychologique marqué par un retrait consécutif à une forte désillusion : ne plus y croire, c'est y avoir cru et s'être retrouvé assez déçu pour retirer sa confiance. Sans doute les récurrents scandales salissant l'image de la politique y sont-ils pour quelque chose. Le souvenir d'élections présidentielles entachées par l'affaire Fillon reste frais dans les mémoires et les six mois de prison ferme récemment requis contre Nicolas Sarkozy ne rehaussent pas le blason des politiciens aux yeux de citoyens méfiants.

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Au-delà de ces motifs d'ordre événementiel, l'augmentation de l'abstention aux éléctions est symptomatique d'un effondrement en cours qu'il importe de prendre en compte, et pas uniquement au niveau étatique. Il s'agit d'une part de l'effondrement des idéologies à l'heure de la crise que traversent nos démocraties, et il s'agit d'autre part d'une désaffection du lien traditionnel qui était censé cimenter la cohésion au sein de la cité, ce que les Grecs de l'antiquité appelaient la Polis. Si voter ne sert à rien, il y a de quoi se sous-estimer en tant que membre décisionnaire de sa communauté. Une telle posture dénonce à quel point notre société s'éloigne d'une conception fondamentale de ce qu'est la Polis. En effet, pour raisonner ainsi, il faut s'être relativement désinvesti du projet démocratique. L'individualisme souvent incriminé à ce titre a bon dos pour en rendre compte.

Ce constat pose plusieurs questions autour d'une problématique fondamentale car d'ordre anthropologique : quels animaux politiques, pour reprendre la formule d'Aristote, sommes-nous devenus ? Sans doute vivre ensemble fait-il encore sens aujourd'hui. Il s'agit d'interroger lequel, et de bâtir à partir de ces nouveaux paradigmes une conscience politique à la fois sincère et dynamique. Une seule piste fiable pour cela : écouter ce qui se dit, ce qui se pense, ce qui s'éprouve et se désire au coeur même de la cité, c'est-à-dire bien loin de l'artifice complaisant et de la déréalisation des campagnes politiques. Comme toute relation en effet, celle qui relie les gouvernants et les gouvernés peut s'illustrer par une corde tendue entre deux pôles et c'est à se demander actuellement si les seconds n'ont pas lâché, par dépit et lassitude, leur bout de corde.

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