Notre auto-extermination, prévisible de longue date ?

Le 04/05/2023 0

Dans Crise écologique

la note de bas de page de Lamarck

Lecture entre les lignes d'un visionnaire

En 1820, le savant Lamarck (Jean-Baptiste de Monet de) ajoute à son "Système analytique des connaissances positives de l’homme" cette note en bas de page :

"L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce.

En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène rapidement à la stérilité ce sol qu’il habite, donne lieu au tarissement des sources, en écarte les animaux qui y trouvaient leur subsistance, et fait que de grandes parties du globe, autrefois très fertiles et très peuplées à tous égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertes.

Négligeant toujours les conseils de l’expérience pour s’abandonner à ses passions, il est perpétuellement en guerre avec ses semblables, et les détruit de toutes parts et sous tous prétextes, en sorte qu’on voit ses populations, autrefois considérables, s’appauvrir de plus en plus.

On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable."

 

Signes avant-coureurs en 1820

Mesure-t-on du fond des laboratoires et autres officines, il y a deux cent ans, les risques des progrès technologiques dont on est contemporain ?

Le phonographe a été inventé, le bateau à vapeur vogue déjà, la première locomotive s'est lancée sur les chemins de fer, Faraday construit ses dynamos tandis qu'Ampère découvre l'éléctromagnétisme et, si l'on fabrique des conserves en boîte, c'est encore à la lampe à huile qu'on s'éclaire.

A la faveur de l'essor du brèvetage, la "croissance" britannique vient de faire son apparition, séduisant dans la foulée les firmes voisines. C'est que l'Europe, en paix au sortir du Congrès de Vienne il y a cinq ans, peut se montrer entreprenante. La seconde révolution industrielle arrive à grands pas, qui tirera parti des nouveaux moyens de transport pour stimuler un commerce international, accélérant l'extraction d'une de nos énergies fossiles, le charbon. L'inflation de billets de banque dans un climat spéculatif a provoqué en 1819 une crise de la finance américaine mais on est loin d'imaginer les proportions que de telles frayeurs prendront un siècle plus tard.

 

L'heure est plutôt à l'engouement général pour une amélioration escomptée des conditions de vie. Quant à la voix de la science, elle parle peu depuis les profondeurs d'une psyché inquiète. La discipline dominante du XIXè siècle, c'est précisément la biologie de Lamarck, pas la psychanalyse de Freud - qui n'est même pas encore né. L'aliéniste Jean-Étienne Esquirol vient tout juste de suggérer en 1819 la construction de ce qu'il appelle des "asiles" qu'on pourrait réserver aux malades mentaux.

C'est dans ce silence acquiesçant à la course à la croissance que le naturaliste croit bon de souligner en passant, presque incidemment en note de bas de page, une propension destructrice de l'homme, à l'heure où tout se met en place pour lancer l'extraction irraisonnée des énergies fossiles et l'exploitation de toute la planète. Certes, contemporain de ce qui se trame, on en mesure généralement mal la portée. Néanmoins le pressentiment d'une certaine pulsion de mort à l'oeuvre en l'homme traverse l'histoire des idées, précédant même l'époque riche en inventions du Lamarck avisé qu'on a choisi de citer ici.

 

Que de chemin parcouru depuis la petite note du biologiste circonspect, jusqu'à cette historique année 2020 où se multiplient à ce délicat sujet les prises de parole de spécialistes de tout bord, des climatologues aux astrophysiciens, pour tenter d'articuler science et conscience !

De quoi répéter plus que jamais à l'humanité négligente de ses propres travers  et euphorique de son génie inventif, combien il faut manier attentivement la moindre notice.

Et notamment penser à lire ce qui y est écrit en tout petit.

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