La collection, ou pourquoi saturer l'espace d'objets en série

Le 01/03/2021 0

Dans Crise psychique

La collection

De la série

Un objet arrive rarement seul.

Nos habitats en regorgent, nos habitacles de voiture en étouffent, nos poches en sont pleines, nos activités y recourent en abondance, et toujours davantage, notre temps leur est soumis, qu'ils égrennent par notre bracelet au poignet ou par le son d'alarmes programmées sur nos iphone.

Quand ce n'est pas notre corps qui les héberge: prothèse, implant, anneau gastrique, lentilles....

Notre identité civile s'imprime sur les supports d'artefacts officiels, codée, fichée électroniquement. Quand le sujet est ainsi régulé dans son rapport à soi-même, au temps et à l'espace par une instance d'une telle omniprésence, on peut parler d'aliénation. Les objets ne nous aliènent-ils pas?

Il s'gait d'une saturation dont tout le monde semble pourtant en majorité se féliciter. Une surenchère célébre dans l'allégresse les communions festives systématiquement associées au don et au partage à échelle collective d'objets qui sont devenus autant de prétextes à la consommation et à l'accumulation.

D'aucuns exorcisent la menace angoissante qu'ils pourraient projeter sur le monde des objets par des pratiques conjuratoires comme la collection et autres stratégies d'entassement organisé.

La collection, paradoxalement, réintroduit de l'absence là où pullulent les objets. Elle désigne en dernière sintance l'objet générique dont tous les autres ne sont que les incarnations subalternes. Comme dans le donjuanisme, la quête du collectionneur de poupées anciennes est la poupée en tant que genre, jamais confectionnée, désespérément inaccessible et pourtant toujours recherchée -en un mot "l'absente" de toute série de poupées dirait Mallarmé.

C'est l'avidité qui fait le collectionneur, pour lui ce n'est jamais assez plein, il y a toujours le vide de cette place encore inoccupée, sans laquelle la collection aboutie, se viderait par ailleurs de son sens si cela devait arriver. Et fort heureusement cela n'arrive pas.
 

Les poupées russes

Poupée russe

Il n'en est pas de même avec la série des poupées russes, la quête plongeant l'enquêteur dans le grisant désemboîtement des artefacts pour dévouvrir ce qu'il y a au fond de la dernière poupée, jusqu'à la plus petite cavité.  Et surtout il y a un terme à ce jeu: la dernière poupée qui ne s'ouvre pas sur d'autres.

On sonde les profondeurs de ce que renferme une série de poupées russes jusqu'à la lie alors que la collection est un déploiement horizontal et sans fin, une série linéaire dont on étale les individus. Pour mieux les voir. Suivant nos codes culturels, le fermé s'oppose ici à l'ouvert,  la rondeur à la ligne, le terme à la quête, l'intérieur à l'extérieur, le féminin au masculin. C'est pourquoi on aura tendance à imaginer que les petites filles emportent empilées leurs poupées russes, tandis que les garçons alignent leurs soldats de plomb en rang. Une répartition des comportements qui ne manque pas pour le coup, de satisfaire un certain goût de l'ordre social.

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