Que faire de ce qui se donne pour vrai ?

Le 30/10/2021 0

Dans Crise psychique

Les fake news disqualifient métiers de l'information et réseaux sociaux. Leur flambée constitue le symptôme d'une perversion de notre rapport au vrai -donc au juste et au bien.

Analyse et conseils pour garder son discernement en des temps incertains.

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On ne compte plus les déformations de faits à des fins de marketing ou de propagande politique. L'Amérique du président Donald Trump s'est largement distinguée à ce titre, faisant des émules aux quatre coins du monde. La manipulation de l'opinion publique n'est certes pas un phénomène nouveau, qu'on se souvienne combien Platon mettait en garde ses contemporains contre les sophistes. Cependant elle bénéficie techniquement aujourd'hui de solides leviers de désinformation massive grâce à la révolution numérique, qui a produit la communication instantanée et sa mondialisation.

Cela dit, cette possibilité matérielle offerte à chacun de diffuser des mensonges à échelle planétaire et en une fraction de seconde, n'aurait pas était opérante sans un facteur plus humain que technologique : la perversion progressive de notre rapport collectif à la vérité. Il s'agit rien moins là que de notre propre décadence en tant que sujets pensants. Enfants du rationalisme cartésien, nous voilà fascinés par le premier prestidigitateur qui nous fait prendre des vessies pour des lanternes. Comment un tel tour de passe-passe est-il arrivé ?

de source sûre ?

Les figures incarnant le savoir ont peu à peu été détrônées par un Occident économiste et matérialiste, du professeur au scientifique, en passant pas le maître spirituel. L'individu libre du XXIè siècle ne supporte aucun maître à penser extérieur et revendique un accès sans intermédiaire à la seule vérité qu'il reconnaît comme légitime, la sienne propre. Il ignore qu'il ne suffit pas d'être issu des Lumières du XVIIIè pour détenir la science infuse et, gonflé d'ego à la faveur d'un XXè siècle nombriliste, s'expose à confondre objectif et subjectif. D'autant qu'il évolue dans un univers saturé de signes (enseignes de rue lumineuses, flash publicitaires sur les ondes radio, stimulations sensorielles permanentes, publications éditoriales pléthoriques etc.) où rien ne lui sert de guide éclairé de nos jours pour démêler le vrai du faux dans le flux effréné d'informations et d'images qui requièrent son attention de toutes parts.

On pourrait minimiser le danger qu'il y a à vivre de la sorte. Or il s'agit de vivre, autrement dit de choisir, de s'investir, de miser sur, de bâtir sur. Et c'est bien là le danger de la désinformation : faire prendre à sa victime des risques incalculés dans tous les domaines, dont celui de sa sécurité. Car c'est en fonction de ce qu'on sait -ou croit savoir- qu'on prend des décisions parfois déterminantes pour le restant de sa vie. Des civils assignent en ce moment-même leurs gouvernants pour des discours trompeurs qui leur ont valu de s'exposer de leur plein gré à torture et privation, des personnes tombées en dépression dénoncent la perversité narcissique d'un conjoint en apparence bien sous tout rapport, des enfants traumatisés intentent des procès à leurs parents maltraitants, bref la manipulation n'a pas toujours la portée minime d'une arnaque commerciale ou d'un scoop médiatique, elle peut revêtir une dimension criminelle et donc insoutenable.

comment discerner le vrai du faux

Alors vers qui ou quoi se tourner pour s'orienter dans la vie sans trop y perdre ? Si la question est ancienne, la problématique actuelle elle, est radicalement nouvelle. Autrefois, la communauté prenait en charge ce besoin individuel de prendre des décisions au long de l'existence. Sans doute cela peut-il avec nos yeux modernes paraître excessif car l'influence du groupe allait jusqu'à organiser les mariages, décider du métier à exercer ou s'immiscer dans l'intimité d'une façon ou d'une autre (traditions et rituels divers). A un moment donné du processus, il s'agit de penser par soi-même, ce qui requiert d'élaborer une façon qui rende possible de raisonner avec justesse afin d'aller vers le monde en confiance pour y aimer et agir. A mesure que la liberté de penser a fait son chemin dans l'histoire, des hommes se sont demandé comment se garantir discernement et sagesse en toute autonomie. Ainsi le savant, s'émancipant des dogmes religieux, ou l'artiste en rupture avec le bien-penser "bourgeois", le jeune adulte en transgression avec son tuteur. Ceux-là même qui montent d'ailleurs au créneau par temps de crise en véritables lanceurs d'alerte. Il est à ce titre remarquable à l'heure de l'effondrement, de voir des tribunes de scientifiques et autres ingénieurs côtoyer celles de comédiens célèbres et d'adolescent(e)s populaires pour se liguer contre un discours dominant corrompu par le déni face au défi climatique. Et ce n'est pas le moindre des mérites de ces trois catégories de population de se lever en révoltés pour rectifier le tir en matière d'information : elles cultivent une intimité sans concession avec ce qui est au-delà du visible.

Entre tous ces affranchis, le philosophe, quoique plus discret, se distingue. C'est qu'étymologiquement, il est amoureux de la vérité. Ce qui touche au vrai est éminemment son domaine d'étude car cela touche aussi au bien ou au juste, voire au beau selon la triade platonicienne. Le philosophe a donc ceci de particulier qu'il parle ou s'efforce de parler depuis la chair des choses. Quand il considère un propos qui se donne pour vrai, il travaille sur cet énoncé avec l'oeil du linguiste et du logicien, mais aussi sur le réel censé lui correspondre. Forme et fonds sont donc passés par lui au crible d'une objectivité non seulement logique ou formelle mais, en quelque sorte, phénoménologique. Et loin de contempler le résultat tout seul dans sa tour d'ivoire avec cette intransigeance qui le préserve, il communique par ailleurs sur ses avancées afin que chacun puisse disposer de leviers sûrs pour discerner le vrai du faux. On peut lui reconnaître de l'expérience en la matière : il a depuis la naissance grecque de sa discipline érigé cet objectif comme primordial. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut bien mener sa vie en étant dans l'erreur. En témoigne la démarche pragmatique et très terre-à-terre de Descartes avec son "Discours de la Méthode" : élaborer un mode d'emploi qui permette de s'assurer de bien régler sa conduite dans un monde où tout peut se présenter sous des apparences trompeuses. Comme quoi, rien de bien nouveau en terre des hommes ! Et si on relisait ceux qui se sont déjà tapés tout le travail ?

 

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