Journalisme et déontologie

Le 29/10/2021 0

Dans Crise psychique

En prenant mon café ces jours-ci, je découvre que des journaux ont commis l'erreur de diffuser une certaine information -choquante et fausse.

De quoi reposer la grave question de la déontologie concernant l'objectivité du journalisme.

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Un journal a vocation d'informer, autrement dit il s'engage stricto sensu à divulguer des informations concernant des faits avérés. Cela tombe sous le sens. Et cela devrait aller sans dire. On imagine mal en effet un quotidien inventer un monde parallèle et nous en relater les péripéties fantaisistes, il empiéterait sur le terrain de la fiction, du romanesque, bref d'autres genres de récit. S'il y a bien une règle de base au journalisme, c'est de partir de et de coller au terrain : les faits sont les faits. Bien sûr, une fois les faits décrits, l'investigation peut donner lieu à des extrapolations, car une analyse s'élabore sous la plume du rédacteur, le journaliste émet une opinion qu'il livre dans la ligne éditoriale de sa maison, ce qui explique par exemple qu'il puisse y avoir des journaux de gauche ou de droite etc. Néanmoins, l'objet de telles divergences de point de vue doit être le même, un fait au préalable avéré. Toute entrave à ce présupposé disqualifie ipso facto la démarche journalistique.

Or quelque chose de troublant vient de se passer dans le cas d'une information avancée par le Midi Libre ou le Parisien, puissantes enseignes s'il en est. Que s'est-il passé au sein de leurs rédactions pour commettre l'impair ? La première titrait prudemment cette semaine "Les talibans auraient décapité une jeune joueuse de volley". Et le second, qui avait titré au présent un article "Afghanistan : les talibans décapitent une volleyeuse de l’équipe nationale juniors et traquent d’autres sportives", de rectifier le tir après coup, "plusieurs sources ayant depuis contredit l’information initiale, par ailleurs impossible à vérifier" dixit une note du Parisien. Sans doute y a-t-il des précédents, mais l'affaire actelle qui jette les projecteurs sur le journalisme remet sur le tapis la question de sa déontologie en matière d'objectivité. Peut-on annoncer une nouvelle gravissime au conditionnel ? Peut-on s'autoriser à publier de terribles informations qu'on sait ne pas être sûres ? Et dans quel but le faire ? Cela sert-il la mission d'informer ? En quoi ?

Quand des journaux avancent et commentent des faits qui sont faux, un mot circule à leur sujet, inventé tout exprès pour les informations qu'ils publient : fake news. Cela dit, entre d'un côté les journalistes honnêtes et de l'autre les menteurs, il y a une zone de désinformation, de déformation des faits, facile à occuper par ceux qui prétendent informer.

L'erreur peut être de bonne foi, elle est humaine, ou bien, si on a des doutes mais qu'on estime qu'il est de son devoir d'alerter par exemple, on prend la précaution de ne pas être affirmatif.

Aux moins sincères des rédacteurs, l'emploi du conditionnel est providentiel : le scandale aurait eu lieu, l'horreur aurait été commise etc. Au final, s'il s'agit d'une méthode pour se dédouaner à l'avance vis-à-vis de la déontologie, elle procure un double effet kiss kool : un scoop à coup sûr, une formulation garante d'impunité. Le journaliste roublard fait le buzz, peu importe qu'il s'appuie sur des sources non-fiables car, avançant masqué, il pourra toujours présenter des excuses si le vent tourne.

 

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Quand l'information en question est particulièrement choquante, il ne peut y avoir qu'une motivation à cette pratique qui néglige la règle journalistique de la véracité rappelée pour commencer : le buzz. Comme on sait depuis la naissance du journalisme, ce qui est spectaculaire se vend mieux et plus. Tous les animateurs de page Fb et autres comptes Tweeter misent sur ce b.a.b.a. d'un certain marketing complaisant. Les réseaux sociaux relaient volontiers les fake news pour cette raison : un post qui choque est attractif pour la charge potentielle de réactivité qui le caractérise. C'est un véritable call to action incitant les internautes en masse à commenter et partager instantanément ce qui les frappe ainsi au vif de leurs émotions. Les  pseudo-journalistes le savent, et peuvent compter sur ce relai, d'autant qu'on observe une tendance croissante à ne plus lire que les titres sur Facebook et négliger de vérifier les sources de la publication en question ou évaluer la validité de sa démonstration - le cas échéant.

Ces pratiques posent un problème sérieux à l'heure de l'effondrement, dont elles sont elles-mêmes un symptôme. Il faut en effet que la tâche d'informer se soit subordonnée à celle de plaire, de faire de l'audimat, de vendre. Il faut en outre que notre rapport collectif au vrai se soit gravement perverti pour en arriver à voir trahie éhontément la vocation première des métiers de l'information. Ehontément car celui qui use du conditionnel avait le choix de se taire. Mais il lui faut pour cela adhérer au précepte suivant : ce sur quoi on ne peut rien énoncer de sûr, il convient de garder le silence. Cette rigueur intellectuelle, voire morale, est-elle désormais réservée au philosophe, celui qui par étymologie est épris de vérité ?

Heureusement, non, et nombre d'honnêtes journalistes respectent encore leur lectorat ainsi que les faits et on a, plus que jamais, un crucial besoin de leur talent !

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