Nos capteurs émotionnels ont parfaitement fonctionné au début de la pandémie pour faire leur boulot: alerter sur le danger qui nous menaçait tous, de sorte à orienter notre action en vue de nous mettre en sécurité. C'était pas rien ! un choc mondial. Impressionnés, on était tous sur le pont. Et s'en est suivie une belle mobilisation contre l'"ennemi" collectif, le coronavirus. Un mouvement général de solidarité s'est même élevé, qui rallait par-delà les balcons d'immeubles des populations autour de la cause infirmière ou organisait une entraide altruiste dans le quartier pour les plus en difficulté. Un an plus tard, force est de constater du relâchement dans les troupes. Pourquoi?
Le cerveau est ainsi équipé qu'il sonne l'alarme en cas de menace. Il le fait une fois, pas en permanence. Une sirène qui ne s'arrête jamais, où a-t-on entendu cela ? Il faut bien que le signal s'estompe, pour se taire à un moment donné sinon cela mettrait notre santé mentale en danger. Aucun être humain ne vit une panique qui dure parce qu'une telle souffrance ne serait pas nerveusement soutenable. Vient donc immanquablement, le temps où la conscience cesse d'être obsédée par le danger et se tourne vers les moyens d'y répondre, c'est-à-dire l'action. Il faut, pour passer à l'acte avec quelque espoir d'efficacité, que se trouve inhibée la charge émotionnelle qui nous a envahi au moment de l'alerte -ici la peur. Si la menace néanmoins persiste, si la stratégie adoptée ne parvient pas à évacuer le danger, alors il se produit une sorte d'engourdissement psychique. Cet état second, que connaissent bien les populations en guerre, ou éprouvées par des années de famine, met en veilleuse les systèmes d'alarme; l'énergie, toujours sélective, est dirigée vers des fonctions plus ordinaires assurant la survie de tous les jours. On n'oublie pas, mais à quoi bon ressasser le pire ? On s'y habitue.
Un deuxième phénomène se produit, corollaire du précédent : la résignation. C'est que le moral est en berne, on se trouve découragé par l'insuffisance des luttes menées avec ferveur dans un premier temps. Or, paradoxalement, la vigilance, encore voire plus que jamais nécessaire, est moins de mise.