L'effondrement a-t-il mauvaise presse ?
- Le 08/01/2022
- Dans Chroniques d'un effondrement
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Parler d'effondrement, c'est un peu faire claquer ses ailes en oiseau de mauvaise augure.
La littérature relève d'un genre bien noir qui frise la cartomancie à sensations ou la collapsologie dépressive.
Quelle encre le propos fait-il couler sur le papier ?
50 nuances de Noir
Côté bouquins, le lecteur de la première heure aura d'abord soupé des incontournables worst of, ces crus certes incontournables qui nous servent, à force compilations indigestes de chiffres et études scientifiques, un avant-goût toxique de l'avenir sur Terre. Les cris des lanceurs d'alerte ne tarissent hélas pas, décennie après décennie, faute d'amélioration de la situation. Si bien que la science-fiction catastrophiste n'a plus qu'à se rhabiller, impressionnant moins que le dernier compte-rendu du Giec. De quoi regretter, pour les plus allergiques à la lucidité, le temps où l'imprimerie n'était pas encore inventée. Rien ne nous a été épargné, l'on sait par le menu détail quelles terribles épreuves nous attendent, nous et les koalas dans les prochaines décennies. Le lecteur actuel ne peut plus dire qu'il n'est pas prévenu, l'horizon est bouché par quel que coin qu'on envisage le globe. S'il persiste à acheter des fruits encore verts le dimanche au marché, c'est qu'il est atteint d'un maladif optimisme.
Découlant de ces constats et autres états des lieux alarmistes, soulignons la vague pragmatique des publications pratico-pratiques. Ainsi nombre de manuels de type survivaliste apprennent à se nourrir en pleine toundra et savoir quoi faire en cas d'attaque par un ours affamé. Autrefois glissée sous le sapin de Noël de son ado fan d'"Into the wild", la bible du baroudeur autonome se décline désormais sur tous les fronts des enjeux vitaux, du boire au dormir en passant par le déféquer en forêt. En parfaite cohérence avec le lanceur d'alerte, le survivaliste passe à l'acte. La démarche vaut la peine si elle n'encourage pas le repli solitaire ou communautariste en éco-lieux sectaires où seulement sont admis des individus non genrés, ou bien des féministes quand ce ne sont pas des vegan etc. A l'heure de l'effondrement, se voir refuser l'entrée chez des antivax radicaux parce qu'on s'est tatoué son pass sanitaire, ce serait ballot.
Les influenceurs font les lanceurs d'alerte
Dans le même temps, continuent à être édités dans la veine des pionniers des années 1970, des essais appelant à raison garder et contrer en urgence la menace de l'effondrement. De réputation ennuyeux hélas, en vertu d'une âpre intransigeance quant à ce qui constitue la nature humaine, ils trouvent rarement un très grand éditeur et un large public. Signe symptomatique des priorités consuméristes telles que les définit notre monde hyper-connecté, rappelons qu' à l'heure de l'effondrement, ce sont les influenceurs qui font et défont les lanceurs d'alerte - lesquels sans budget "com" ni diplôme en marketing digital ont peu d'avenir ... du moins dans le monde du commerce des livres. Que veut le peuple ? Trop d'ouvrages sur un sujet comme le chaos le lasse et on prétend qu'il ne songe qu'à se divertir de mets plus anesthésiants, au point de plébisciter l'inconsistant bien gras qui le tiendra coi face à la crise. C'est à ce genre de raisonnement et de positionnement qu'on doit de voir les très inoffensives photos de chat farceur sur fb remporter un franc et inégalable succès. Par où l'on entrevoit ce qui reste à faire, pour un lectorat plus éhontément profilé que l'amateur de calembour ou de flagornerie, aux plus téméraires des auteurs résolus à parler d'effondrement sans concession en osant appeler... un chat, un chat.
En revanche, pléthore de livres sans doute vendeurs auprès d'inconditionnels de la perfectibilité humaine dans le meilleur des mondes, paraissent chaque année pour nous faire miroiter une sortie de crise - à condition de suivre le traitement à la lettre. Et leurs auteurs d'y expliquer comment il est possible de sortir du marasme actuel - en réformant l'industrie, la politique étrangère ou le système de santé, selon. L'occasion de stigmatiser généralement un fieffé coupable à exterminer en toute priorité - le capitaliste du Titanic, le mangeur de viande ou de sandwich au gluten, ou encore le touriste sexuel pollueur. On reconnaît de tels textes empreints de prétention messianique à ce qu'ils sont étayés de consignes à la façon "ya qu'à faucon".
Bien sûr, cette loghorrée, théorique sans la grâce de l'ingénuité, résiste mal au filtre du réalisme. Mais le temps d'une lecture flottante, et à condition de jouer le jeu sans objectivité aucune, on se complait à se laisser bercer d'illusions. Bah oui, la technologie verte... Mais c'est bien sûr, l'empathie et la communication non-violente...
Bref, voilà toujours 40 minutes de volées au désespoir.
Un filon comme un autre
Les témoignages et récits s'inspirant du genre journalistique constituent un autre pôle de l'intérêt éditorial porté à l'effondrement. Ils s'efforcent de moins mentir que le bla-bla précédent complaisant et exercent sur le public un attrait remarquable, avec l'avantage de rendre le sujet plus vivant et esthétique. Ils ont aussi plus de chance d'inspirer une réaction engagée, souvent en faveur du monde animal.
Un impact qu'ils disputent au mode d'expression favori des réseaux sociaux, l'encart d'un slogan performant qui rend viraux des coups de gueule subjectifs aussi bien que des citations du 1er siècle romain et administre régulièrement des claques audio-visuelles pour qui ignorait l'horreur quotidienne des abattoirs. A noter qu'on déniche néanmoins sous des posts intempestifs et dénués de prétention littéraire, des perles d'aphorisme ou d'haiku, formes d'expression élevées au titre de noblesse sous la plume de brillants esprits. Par où l'on peut, au temps de la technologie numérique, parler en sage auto-édité et avoir un compte instagram. Seule condition du succès sur les réseaux sociaux : que le public aime la publication.
Bref, une seule loi dicte à coup sûr au propos sur l'effondrement son destin en matière de publicisation. Et il ne s'agit pas toujours de sa pertinence, loin s'en faut. Il s'agit la plupart du temps de son impact en termes d'audimat et donc de rendement commercial. A croire qu'on tient là somme toute, un sujet de bouquin comme un autre. Que là encore, comme pour la cuisine au wok en trois tomes ou le tricot facile, la loi du marché domine s'avère symptomatique. Le traitement majoritairement réservé à l'effondrement dans la parution des livres menace d'en faire un objet de consommation soumis à l'impératif du profit.
Déjà le cinéma et la télévision s'emparent à leur tour du thème pour son actualité sensationnelle. Pour une poignée de producteurs sincèrement engagés, et désireux de faire passer un message grave et complet, combien ne verront là qu'un bon filon ? Aussi sera-t-il bientôt banal de voir thrillers et romans auxquels l'intoxication aux pesticides ou le réchauffement climatique servira de décor. A quand une série télévisée comme une BD qui exploite la misère des sacrifiés de la croissance économique, l'agonie des paysans traditionnels ou la maltraitance animale, juste histoire de broder autour de son pitch - la crise de nerf d'un bobo non-éligible au vol spatial touristique ?
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