"J'y vais.
A grands pas, à petits, qu'importe ! Je suis attendue là-bas.
Quand bien même y passerais-je des années, à avancer vers mon but, le chemin s'ouvre, c'est ainsi. On a assez réclamé le changement, assez sué, prié, maudit, hurlé sa soif, sa faim, sa révolte, pour être entendu des hommes.
Ceux qui perçoivent les cris ont senti frémir leur nuque, ils se retournent sur nous, craintifs ou frondeurs, ils grossissent bientôt la marche vive.
Là où j'avancerai demain au milieu d'eux tous, il y aura des villes solidaires, aux rues verdies de plants de légumes encadrant la chaussée.
On y cueillera en tendant le bras des cerises et des mûres; la route en sera odorante quand tu ouvriras sur elle la porte de ta maison, libérant ton enfant curieux de son monde.
Le soleil inondera nos toits, couverts de panneaux alignés en nombre et tournés vers les profondeurs généreuses du ciel auquel boire la vive énergie.
Il y aura des hommes pour se parler et s'aimer, sortis d'écoles intelligentes qui apprennent à construire du lien et du sens, qui enseignent que l'autre n'est pas un objet ou un ennemi à abattre mais un compagnon de jeu, de travail et de vie.
Faites circuler d'ors et déjà la nouvelle pour que les égarés s'y préparent: le marketing, l'esclavage légal, le protectionnisme des lobbys, la maltraitance parentale, le piston du petit chef, le trading, le tourisme sexuel, et tant d'autres anomalies scandaleuses, sont des moyens caduques de réussir sa vie désormais.
Car la démocratie rassasiera les affamés de justice et de paix qui ont leur vie durant dénoncé les exactions de tout ordre perpétrées en toute impunité par les plus malins et dans l'hypocrisie la plus opportuniste.
L'animal et son environnement naturel seront respectés, aussi retirera-ton des cirques et des parcs d'attraction complaisants le captif abusé; il sera considéré comme ayant des droits, aussi ses tortionnaires goguenards seront-ils jugés.
Les enfants trouveront du soutien auprès de tous les adultes en tant que référents fiables, et pas seulement de leur papa-maman attitré, les personnes âgées ne seront plus stockées dans des mouroirs, les femmes seront les soeurs, vraiment, de garçons tranquilles, incapables de les haïr parce qu'ils les redouteraient ou que sais-je encore.
Le besoin de briller, les démonstrations de pouvoir, les 4/4 garés en travers des trottoirs, le snobisme de la mode, les footeux surpayés seront devenus ringards, et observés avec compassion par des communautés émues devant tant de choix obsolètes et déplacés comme on fait au musée, le souffle coupé de stupeur devant des fossiles.
Mais comment peut-on être égoïste, jaloux, ou se croire supérieur? se murmurera-t-on confronté à un specimen has been encore animé de désirs conditionnés qui arbore les signes extérieurs de sa vacuité intérieure ou qui stigmatise sa marginale barbarie.
Celui-là, si possible, avertissez-le qu'il s'expose bientôt à la dérision la plus âpre, lui qui s'enorgueillissait de succès illusoires.
Prévenez-le que demain, il n'y aura pas de place pour lui au sein de nos communautés et qu'il s'en exclura de lui-même en persistant à incarner des non-valeurs.
Les criminels de son espèce seront rassemblés comme des rats dans un même sac, où ils pourront à loisir perpétuer leur mode de vie et d'échange: en s'entredévorant.
Tandis que dans nos jardins, le linge s'étendra à plusieurs, les fêtes réinventeront la danse, le vin célèbrera des sentiments sincères.
On échangera des services, plutôt que des billets de banque froissés, répugnants et factices, roulés en boule au fond de poches étroites et extirpés à grand peine.
On donnera en abondance, de son temps, de sa force, de sa joie, conscient de recevoir plus encore, et d'une inestimable richesse.
On ne comptera peut-être même plus, sinon les taches de rousseur sur les visages d'enfants rieurs ou les étoiles juste au-dessus cette nuit qui scintillent et... les années passées ensemble, déjà, à l'ouvrage de cet ordre si long à venir, et enfin établi.
Je serai vieille alors, quand tout cela arrivera, parce que le chemin est long, et je poserai sur toi qui m'accompagnes partout et toujours, ces regards familiers où tu lis mon amour.
Tu me diras: tu avais raison, ils se sont bougés, on a réussi ensemble. Je n'en savais rien, j'espérais, et je désespérais, souvent, que le monde comprenne et change un jour ses impasses en jardins.
Un petit enfant nous tirera par la manche, venant chercher son câlin le plus naturellement du monde, tu le soulèveras haut entre tes bras et nos éclats de rire unis sonneront vers l'horizon, ainsi que s'élèvent les chants joyeux des hommes libres.
Rien de tout cela ne sera anodin, ne le sera jamais plus, sachant ce que nous savons depuis nos âges avancés.
Car il faut avoir pleuré, souffert, subi l'âpreté du système effondré, pour goûter à ce point la douceur de vivre, insouciants et vainqueurs.
C'est à tout cela que je songe, le front reposé sur ton épaule quand je suis fatiguée. Fatiguée des nouvelles, de la médiocrité imbécile, du règne de la pulsion qu'on appelle encore civilisation.
Et quelques images de ce monde à venir, comme des souvenirs du futur, suffisent à me redresser l'échine.
Viens, commençons. J'ai hâte.
Le meilleur naît de la ferveur habile à résister. Que m'importent les obstacles, l'inertie, le doute!
J'ai un enfant bientôt à soulever jusqu'au ciel, son rire qui tonne dans ma tête en balaie les incertitudes.
Pressons.
Je suis attendue demain."