Le monde a besoin d'artistes engagés

Le 05/07/2021 0

Dans Salves Poétiques

 


Pour ne pas choisir entre le beau et l'engagement.

 

Je crois conciliables deux pôles souvent opposés par la pensée binaire : comme spiritualité et citoyenneté, allier mon esthétisme et mon engagement intellectuel me semblent des objectifs réalistes et par ailleurs nécessaires, tant le monde disqualifie la beauté et inhibe la révolte en même temps qu'il en stimule la double résistance, pour ne nommer que celle-ci, du fait même de s'employer à les éradiquer.
En tant que philosophe et écrivain, je considère ma place à la fois auprès des artistes qui célèbrent et le beau et le vrai et le juste sans réserve ni concession, et de ceux qui, en acte, relèvent les manches pour leur octroyer un séjour tangible ici-bas qui soit tout sauf chimérique, et tant pis si je passe pour utopiste, je fais partie des enfants de Camus ou de Sartre. J'appelle donc tous ceux qui évoluent de même dans le milieu littéraire, et plus largement créatif, j'appelle peintres, dessinateurs, cinéastes, chanteurs, comédiens, à relever le défi qui se pose à nos consciences citoyennes. Car je vois comme vous peut-être fleurir moultes initiatives prônant un nouveau paradigme, qui au nom de tel gourou médiatique plébiscité sur Youtube, qui au nom de l'ère new-age récupérée par de pseudo-thérapeutes, qui au nom de politiciens arrivistes... Cependant, l'avenir mérite mieux que certains sursauts opportunistes ou atomisés, les impulsions sincèrement engagées retombant vainement dans l'indifférence générale. Non, c'est nombreux qu'il faut gonfler les rangs.

Artiste, vous sentez-vous à part de ce qui gronde dehors? Vous êtes-vous isolé à l'abri dans une tour d'ivoire qui vous préserverait du chaos? Vous voilez-vous la face derrière l'écran opaque et flatteur d'oeuvres lisses? On ne crée pas en dehors de sa communauté mais depuis elle, par elle, pour elle, intriqué dans le tissu social, sinon toute œuvre a la valeur d'un hoquet pré-pubère éjaculé sous ses draps, d'un baiser de midinette à elle-même devant le miroir, d'un effet de manche pour affoler sa cour en transe si l'on adjoint par hasard au talent la gloire.

L'on voit hélas nombre d'écrivains et autres créateurs soucieux de n'inspirer que des "j'aime" sur les réseaux sociaux et organiser des séances de dédicace, alimentant artificiellement une estime de soi en manque de caresse. Il existe des cabinets de consultation pour ces derniers, et s'il n'y frappent pas pour eux-mêmes, puissent-ils le faire animé du souci hygiénique de nous épargner leur égocentrisme. Que les autres se lèvent, je veux dire ceux qui ont un autre projet que celui d'être applaudi et enrichi tant que c'est encore possible, ceux qui sentent gronder la révolte au ventre plutôt que l'appétit du nombril. C'est la soif d'absolu propre aux idéalistes qu'ils éprouvent en même temps que l'humilité du geste de plus, de l'action solidaire, de la contribution sincère, et leur don en fait des architectes et des guides pour demain.

On ne choisit pas d'être un artiste, et bien peu s'en félicitent, tant ils se passeraient des affres de leur condition, mais puisqu'on l'est, je veux dire une fois qu'on a compris qu'on l'était, que ce serait comme ça jusqu'au dernier souffle, autant en être digne, tout le reste est fuite. Comme l'écrivait Camus « Tout artiste aujourd'hui est embarqué dans la galère de son temps… Nous sommes en pleine mer. L'artiste, comme les autres, doit ramer à son tour, sans mourir s'il le peut, c'est-à-dire en continuant de vivre et de créer » .

Toutefois Camus, lui, pensait : "Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse." Je crois que la nôtre peut élaborer une alternative. Aussi, créez, mes amis, et créez en conscience, sans crainte de "défaire", soyez les professeurs d'espérance en qui Giono voyait les poètes, plongez sonder l'inconnu où vous a précédé Baudelaire. Créez du frais qui saisisse nos échines comme les petits matins vifs, du nouveau jamais vu jamais osé jamais rêvé peut-être, du radical et de l'audacieux qui racle les gorges et réveille les éclats de rire oubliés, du âpre qui raye la cale des mains et relance le sang, du vivant scintillant comme le front d'un enfant en nage d'avoir nargué le vent à la course...; créez, l'avenir le réclame.

Alors vous verrez, qui sait, des hommes presque morts au coin des rues lever la tête vers les faisceaux inhabituels de vos oeuvres et redresser leurs carcasses engourdies pour marcher dans leur maigre chaleur, comme on rassemble l'énergie d'un dernier geste vers une promesse devant, au loin, quelque part, on en jurerait, entrevue.

en baleine bleue

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