On ne choisit pas d'être un artiste, et bien peu s'en félicitent, tant ils se passeraient des affres de leur condition, mais puisqu'on l'est, je veux dire une fois qu'on a compris qu'on l'était, que ce serait comme ça jusqu'au dernier souffle, autant en être digne, tout le reste est fuite. Comme l'écrivait Camus « Tout artiste aujourd'hui est embarqué dans la galère de son temps… Nous sommes en pleine mer. L'artiste, comme les autres, doit ramer à son tour, sans mourir s'il le peut, c'est-à-dire en continuant de vivre et de créer » .
Toutefois Camus, lui, pensait : "Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse." Je crois que la nôtre peut élaborer une alternative. Aussi, créez, mes amis, et créez en conscience, sans crainte de "défaire", soyez les professeurs d'espérance en qui Giono voyait les poètes, plongez sonder l'inconnu où vous a précédé Baudelaire. Créez du frais qui saisisse nos échines comme les petits matins vifs, du nouveau jamais vu jamais osé jamais rêvé peut-être, du radical et de l'audacieux qui racle les gorges et réveille les éclats de rire oubliés, du âpre qui raye la cale des mains et relance le sang, du vivant scintillant comme le front d'un enfant en nage d'avoir nargué le vent à la course...; créez, l'avenir le réclame.
Alors vous verrez, qui sait, des hommes presque morts au coin des rues lever la tête vers les faisceaux inhabituels de vos oeuvres et redresser leurs carcasses engourdies pour marcher dans leur maigre chaleur, comme on rassemble l'énergie d'un dernier geste vers une promesse devant, au loin, quelque part, on en jurerait, entrevue.