Comment gérer l'éco-anxiété ? Partie 1.

3 volets à cette étude. La première épreuve concerne notre rapport au temps.

On se croyait la vie devant soi, et pas que la sienne, celle de ses enfants, celle des enfants de ses enfants et nous voilà arrêtés net.

Comment s'en remettre ?

droit devant

Depuis des siècles que le monde a cessé d’être fini à la faveur des découvertes galiléennes en astronomie, le temps se déploie ad libitum et personne n’a osé imaginer que cela devrait changer un jour. En se dilatant, il partageait avec l’espace l’attribut de l’infini. Le sujet qui aurait pu avantageusement s’en augmenter, galvanisé par tant d’aisance où épanouir sa mobilité, se cogne aujourd’hui aux bords du monde exsangue et sinistré qu’il a substitué à son environnement naturel. L’infini a vu son champ des possibles escamoté, plié, racorni à la mesure dérisoire d’une variable néanmoins insondable où la bêtise le dispute à la névrose. Alors quel impact cela a-t-il en termes d’éco-anxiété ?

Jusque-là quand nous mourrions, nous savions que cet événement s’absorbait dans plus vaste que lui, un mouvement qui, en l’emportant, le dépasserait. Quelque chose du monde connu, de l’humanité dont nous étions, nous survivrait. Et quand bien même, un homme autrefois pouvait comprendre que sa civilisation était en déclin, à l’instar d’éminentes déjà disparues, il lui était permis d’imaginer la sienne conservée par traces significatives dans des musées et des bibliothèques. Nous sommes depuis toujours habitués à ce qu’un tel dispositif extérieur soit désigné et institutionnalisé comme dépositaire et garant de ce que représente l’humanité, ce qu’elle a accompli, de ce qui fait son unicité. Il est tout à fait saisissant au contraire de réaliser l’alignement soudain de sa destinée sur celle de son espèce. Savoir cela fait ipso facto des générations en vie actuellement les dépositaires de tout notre adn culturel et naturel.  Bien qu’un stockage ait lieu à titre préventif de graines et autres sédiments biologiques dans des réserves mondiales, on ne se fait pas d’illusion quant à l’espoir de voir s’élever après l’effondrement des monuments immortalisant les révolutions informatique ou démocratique, nos progrès en chirurgie cardiaque ou en compréhension de la conscience animale etc. Cette fois, c’est comme si notre mort n’était plus sans conséquence dans un courant appelé à continuer d’avancer en lui demeurant pour ainsi dire indifférent, c’est comme si elle emportait l’espèce, inexorablement, dans une fin commune.

Comment composer alors avec la perte que la fin de notre monde implique ? Si vraiment nous devons disparaître, le travail à effectuer sur soi consiste à intégrer la réalité de l’impermanence à une échelle autrement plus conséquente que lors des deuils familiers aux humains tels que la séparation d’avec un être cher ou la disparition de repères matériels déterminants. Ici ce qui menace de ne plus revenir constitue tout un référentiel complexe qui faisait tenir notre monde debout, lui assurant une cohésion -sinon une cohérence car bien des données contextualisant nos existences frisent l’absurde et l’insensé. Avançant dans l’existence avec un faisceau de représentations quant à ce en quoi consiste précisément exister, nous voilà soudain rien moins que confrontés au vide, et pas seulement à un vide laissé par ce qui avait l’habitude d’être, mais au néant. Face à la perspective de notre extinction en tant qu’espèce, tout est annihilé, ce que voulaient dire aimer, communiquer, agir, penser, croire, sentir et ressentir ou quelqu’autre faculté que ce soit, propre au fait d’habiter une existence d’homme.

Nous souffrons parce que nous ne pouvons pas appréhender par l’entendement cette négation totale de l’élan de vie qui nous anime tous.

 

vers l'extinction de l'humanité ?

Ce n’est pas rien, ressentir cet ancrage tragique à notre espèce, c’est contacter entre nous et nos semblables une parenté naturelle d’une infrangible puissance.

Chaque individu conscient d’appartenir aux dernières générations porte le sceau de l’humaine condition.

La conscience éco-anxieuse en générant un sentiment aussi radical, au sens étymologique du terme de raviver nos racines, contient son antidote. Non seulement car voilà qui l’oblige sans doute, mais parce c’est en tant qu’espèce que nous détenons la solution. Une révolution paradigmatique sous-tend notre prise de conscience en effet pour nous détourner des réflexes cognitifs qui ont causé et entretenu le problème. Elle encourage le ralliement raisonné entre semblables, la solidarité sincère envers le plus fragile, l’addition pragmatique des forces vives en vue d’un commun objectif. Je n’idéalise pas là une propension à l’entraide que d’aucuns croient inhérente au genre humain, pour moi bien plus déterminé par thanatos que le souci candide de son prochain. Simplement rien ne rapproche mieux des individus indifférents les uns aux autres que l’exposition à un même danger.

Le ressort qui en rend compte est plus biologique que sentimental. Il n’en est pas différemment chez les espèces naturelles fortifiées par leur instinct : les nuées de poissons dans une danse stratégique désorientent leur prédateur, celles des oiseaux migrateurs soutiennent le vol précaire des plus affaiblis.

Qu’on se le dise : s’il veut bien intégrer ce qui ainsi le transcende naturellement, l’individu chez les hommes est en passe, enfin, de ne plus être seul. La tragédie écologique l’arrache à la dérive où le jetait un solipsisme nihiliste. L’humanité ne pouvait pas trouver plus fédérateur, à l’heure de l’individualisme le plus exacerbé de tous les temps, que le sentiment collectif de sa chute imminente.

Que cette chute ait réellement lieu ou pas, d’ailleurs… Car un bémol de taille est à apporter à l’affirmation anxiogène que le pire nous attend : c’est qu’on ne sait pas si on devra affronter réellement le néant tant redouté. La peur paralyse nos facultés de discernement, c’est mécanique, aussi toute éco-anxiété doit-elle être accueillie avec la plus grande prudence. Comment ? En réintroduisant de l’incertitude. De ce que tout semble annoncer un désastre écologique nous emportant entre autres espèces sacrifiées, il ne s’en suit pas en effet que cela arrivera assurément. Tout est possible, parfois même malgré les apparences les plus impressionnantes. Refusez de trancher, et avisez. Attention ce faisant aux distorsions cognitives qui jouent des tours à l’anxieux. Il peut s’agir par exemple du fait de maximiser les risques, ou de la tendance à tout voir en noir, ou sans nuances de gris. Dans le doute, passez régulièrement vos pensées au filtre de telles erreurs de raisonnement et rectifiez le tir le cas échéant. En un mot, ne croyez pas tout ce que vous dit votre cerveau. Aussi, en suivant l’actualité de l’effondrement, remettez-en vous inlassablement à la rigueur des faits lorsque vous récoltez des informations sur l’avancée du dossier pour distinguer ce qui est certain et ce qui ne l’est pas.

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