Comment concilier télétravail et fermeture des écoles et crèches ?

Les structures d'accueil pour enfants ont fermé en France, tandis que le télétravail se généralise, entre autres directives gouvernementales.

Comment concilier la garde de ses enfants et l'exercice de son métier sur fond de contrainte sanitaire ?

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Les 2 erreurs à éviter

La première erreur à éviter consiste à se demander des capacités qu'on n'a pas acquises. C'est impossible, on oublie tout de suite. En l'occurrence, personne, jamais, n'a confondu le boulot de parent avec celui d'enseignant. Et si on a encore quelques doutes là-dessus, je renvoie à un article récent qui cloue son bec à tout amalgame. Néanmoins, la tentation sera grande de devenir un pro en la matière, alors résistez. Heureusement, un parent averti en vaut deux. Si votre couple est en télétravail, ça nous fait quatre adultes sur le pont. De quoi tenir un siège ! Et j'ai bien dit quatre adultes, pas quatre professeurs des écoles ou du secondaire.

Pourquoi est-ce improductif de se mettre dans la peau de ces derniers ? Parce que cela revient à se demander d'être un autre, ce qui sur le plan psychique suscitera au mieux des résistances, et provoquera au pire une blessure narcissique. Vous êtes vous, et c'est très bien. D'ailleurs, c'est en tant que tel que vous connaît votre enfant. Nul besoin de fanfaronner soudain dans des attributs factices dont aucun membre de la famile ne sera dupe. On range aux oubliettes tout fantasme infantile de maîtresse en herbe qui alignait ses pokemon en peluche pour leur taper sur ce qui leur servait de nez à la moindre inattention.

Dans la vraie vie, on ne s'improvise pas enseignant. Là, c'est la vraie vie. Une drôle de vie depuis un an, qui bouscule bien des repères, quand ce n'est pas pratiquement tous, mais qu'on va quand même mener, pour le coup, d'une main de "maître".

 

La seconde erreur consiste, à l'inverse, à imaginer que ça va être une partie de plaisir, en minimisant l'ampleur de la tâche. Après tout vous vous en étiez bien sorti il y a un an. Seulement cette fois, ça sonne comme la fois de trop, vous avez déjà donné et aucune envie de revivre cette épreuve. Je vous invite d'abord à prendre en charge ce que vous ressentez, ce qui vous concerne personnellement en termes d'émotions. Vous trouverez sur le site du soutien à ce sujet, des exercices, des conseils. De quoi pouvoir vous concentrer  ensuite sur les faits. Quels sont-ils en l'occurrence ? Vous avez votre propre travail à effectuer et la maison ne va pas être tenue toute seule, tourner, se nettoyer ni s'ordonner. Quand le télétravail vous requiert, l'idéal serait de vous y consacrer, et vous savez que ce sera irréalisable. Cependant les journées n'ont que 24h. La mission qui vous incombe tient donc en ce triple défi : comment parvenir à concilier vos engagements professionnels, l'intendance domestique et l'accompagnement scolaire? Alors bien sûr, ça va être difficile, au point de vous sentir débordé si vous n'y prenez garde. Les conditions de télétravail, va encore, le désordre et la vaisselle en retard peuvent éventuellement attendre. Devoir gérer la présence des enfants au milieu de tout ça, c'est peut-être une perspective très oppressante. Normal, cf le point précédent : vous n'avez pas les compétences de ceux dont le métier consiste à enseigner ou à s'occuper d'enfants. En revanche, là où vous les coiffez tous, aussi experts soient-ils, c'est que vous connaissez votre progéniture mieux que quiconque. De ce fait, vous la côtoyez assez pour calibrer votre effort, et le sien quasi intuitivement. Et si ce n'est pas le cas, vous pouvez  apprendre in extremis en suivant les pistes indiquées ci-dessous.

Pour un accompagnement scolaire serein

Voyons cela en procédant par ordre :

1.Listez vos points faibles en tant qu'accompagnant, listez ceux de votre enfant en matière d'apprentissage. Exemple concret : vous vous concentrez mal le soir; lui aussi ? Prévoyez de travailler ensemble quand vos ondes s'alignent. L'idéal est de commencer ensemble le matin, sachant que les enfants sont globalement plus réceptifs sur le plan intellectuel en début de journée. Peut-on se lever plus tôt pour rendre ce rendez-vous possible, avant votre propre journée de télétravail ? A situation exceptionnelle, dispositif exceptionnel. Autre exemple : comme vous ne savez pas "expliquer", il vous suivra mal ? Il sera entendu entre vous qu'il vous avertisse dès que vous l'avez "perdu". Convenez d'un signal entre vous à cette fin - pourquoi plein d'humour pour détendre l'atmosphère.

 

2. Passez un contrat écrit et que chacun signe pour vous assurer de : pouvoir arrêter toute séance trop stressante pour l'un ou l'autre, jouer un joker par semaine ( chacun a le droit de supprimer une séance prévue qui arrive à échéance), ne jamais se coucher contrarié à cause des devoirs mais dialoguer à ce sujet en terrain symboliquement neutre. Ce contrat stipule les motifs de l'accompagnement : à quoi sert-il ? pourquoi le met-on en place ? pour combien de temps ? Il faut que l'enfant soit au clair vis-à-vis de ces questions et ait pu y répondre en toute franchise. Il est important de mentionner que le contrat énonce des règles provisoires, relatives à un contexte critique bien identifié par tous. Si vous ignorez comment expliquer la crise actuelle aux plus petits d'entre vous, consultez ce dossier : comment parler aux enfants du coronavirus.

contrat

3. Convenez d'un lieu qui servira de terrain symboliquement neutre, où chacun peut convoquer l'autre pour crever un abcès à un moment également convenu, par exemple le mardi à 18h ou chaque dimanche après le petit-dèj; à vous de fixer un rythme ajusté à la sensibilité de votre enfant. Attribuez-lui un nom amusant et choisi ensemble, pour dédramatiser si besoin. Il s'agit de l'instituer comme référence intégrée dans la logique familiale. On se rend dans ce lieu important comme on va dans la cuisine ou au salon, cela fait sens pour tout le monde.

4. En amont: dosez la durée de l'effort à demander à votre enfant, non pas d'après vos capacités intellectuelles, mais en vous mettant à sa portée. Au préalable, pour ne pas naviguer à vue, structurez donc quatre semaines d'étude sur un tableau qui vous guidera. Elaborez cette feuille de route selon la répartition qui vous semble la plus cohérente, autrement dit en vous faisant confiance. Vos critères seront non pas inspirés du plaisir que prend l'enfant à tel ou tel travail, mais de son besoin, de ses faiblesses avérées : on n'accompagne pas un enfant au travail comme au jeu.

un coin pour étudier

5.Vous devez fournir un double cadre à votre accompagnement scolaire : dans le temps et dans l'espace. Si l'habitat ne propose pas d'endroit approprié pour un moment de partage, créez-en un exprès, un tout petit suffit à cette intimité. Mais il lui faut 3 atouts: du calme, du silence, du confort. S'il s'agit d'un espace à circonscrire au sein d'une pièce, on l'isole d'un drap tendu, d'un paravent, auquel est accroché une sonnette à faire tinter par les autres membres de la famille désireux d'"entrer". Vous avez compris le concept : un endroit-une fonction. Des accessoires concrets, matérialisent l'accompagnement scolaire comme partie intégrante de la vie familiale. Demandez à votre enfant un dessin, une peluche-gardienne,  peu importe, pour délimiter ce cadre de façon à l'incarner. Si aucun espace ne peut être dédié à l'étude, on utilise la table du séjour ou un bout de canapé, avec pour règle impérative de tout ranger après usage de sorte à conserver un semblant d'ordre et de respect des communs.

 

6.A toute chose malheur est bon. Quand le moral baisse, de part ou d'autre, proposez une mise au point permettant de dégager ensemble, ou de rappeler, les bénéfices indirects de l'épreuve actuelle. Quels sont-ils ? Vous apprenez à votre enfant à expérimenter un vécu critique en famille, dans des conditionsque vous rendez sécurisantes. Il peut ainsi s'aventurer hors de sa zone de confort pour puiser, depuis le cadre que vous lui procurez, de quoi renforcer sa puissance psychique et pouvoir se tester, voire se dépasser dans sa gestion de la frustration sans risquer de graves conséquences, puisque vous êtes là en rempart. N'oubliez pas que c'est vous qui rendez cela possible par le choix de votre attitude à chaque étape du processus. Ne le vivez pas comme un fardeau, ni un sacerdoce, c'est juste votre rôle : armer votre enfant pour s'élancer dehors autonome, non seulement quand la mer sera d'huile mais aussi par tempête.

une vie après tout ça

Pour un état d'esprit approprié

 

Tout ce préliminaire posé, passons à l'acte. Mais aucun acte posé dans un état d'esprit anxieux ou nerveux ne voit son efficacité garantie.

C'est parti, de quoi a-t-on besoin pour être complet ? De méthode, patience, tolérance, et humour. Comment renforcer ces aptitudes en vous ?

Pour ce qui est de la méthode, on peut écouter l'enfant qui, intuitivement, fournit des indices concernant l'approche avec laquelle il sera le plus à l'aise: c'est un auditif, un lent, un imaginatif etc. On se met à sa portée, on ne lui demande pas d'être un autre. A l'heure des réseaux sociaux, il est en outre aisé de trouver à s'inspirer de parents et professeurs solidaires; ils publient des tutos pleins de conseils avisés sur le net pour la bonne cause. Des forums accueillent les incertitudes, les doutes de parents désorientés ou qui l'ont été avant vous. Parce que tout le monde est plus ou moins dans la même galère, n'hésitez pas.

La patience est une qualité que vous n'êtes pas obligé d'avoir d'emblée, et cela ne fait pas de vous un mauvais parent. Prévenez que vous en manquez, sincèrement mais sans vous flageller. La volonté, l'attention, la douceur la remplaceront auprès de votre enfant, qui sait distinguer quelqu'un qui s'investit de quelqu'un qui le néglige. Et après tout, cette patience, vraiment, vous fait-elle défaut? Pour quelles activités de loisirs ou professionnelles en disposez-vous? Essayez de trouver une motivation analogue à celle qui vous anime alors, pour réussir votre accompagnement scolaire. Peut-être vous surprendez-vous à devenir patient à la faveur de cette crise.

Sinon, la tolérance vous sortira la tête de l'eau. Vous en avez besoin, pour votre enfant et à votre propre égard. Acceptez de ne pas savoir, de ne pas être sûr, de trembler; reconnaissez que vous aimeriez être à mille lieues d'ici et maintenant; avouez-vous que cela vous pèse, ces consignes sanitaires restrictives, cette crise qui n'en finit pas, etc. Et, songez que votre enfant en souffre aussi. L'hypothèse qui me vient volontiers est que chacun fait ce qu'il peut pour négocier son propre équilibre. Soyez fier de vous deux. Et faites-le savoir en valorisant votre enfant.

Ménagez du coup votre équilibre nerveux pendant ce contexte objectivement éprouvant. Pour apaiser vos tensions dues à la crise actuelle, apprenez "4 garde-fous face aux restrictions sanitaires" et comment " Faire du temps un allié". Calmez aussi l'activiste en vous qui s'excite en vain: si les objectifs scolaires ne sont pas atteints cette année, il n'y aura pas péril en la demeure. Il va de soi qu'aucun perfectionnisme n'a de place ici, il inspirerait des stratégies de contrôle psychiquement risquées. Tout l'avenir de votre enfant ne repose pas sur vos épaules et ces quatre malheureuses semaines à venir. Il y aura une vie après tout ça pour s'en remettre si vraiment besoin était.

Pour détendre l'ambiance, ne ratez pas une occasion de recourir à l'humour, de vous distraire régulièrement. Moquez-vous de vos loupés ensemble pour éviter que votre enfant s'isole dans une éventuelle honte. Postulez ouvertement qu'on a sous votre toit droit à l'erreur, cela aidera toute la famille à lâcher-prise. Riez. De vous d'abord, en apprenant à votre enfant à rire de lui. Et de ce qui sera, bientôt ou pas, demain, après-demain, un souvenir. Car tout cela sera un jour un souvenir. Travaillez à ce qu'il en soit un beau, dont vous puissiez sourire en y repensant plus tard, ensemble, et si ça se trouve soudés par cette épreuve partagée.

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